Intolérance au gluten sans maladie coeliaque ?

Cela fait des années que nous défendons que les intolérances alimentaires, notamment au gluten, mais pas seulement… peuvent être la source:

  • de pathologies digestives qualifiées à tort de fonctionnelles
  • de troubles métaboliques chroniques qui peuvent être la conséquence de ces pathologies chroniques comme:
    • Une anémie inexpliquée
    • Une fatigue ou même un état dépressif chroniques
    • Une ostéopénie, voir ostéoporose précoce
    • Une impossibilité de perdre du poids
    • Une inflammation permanente de la paroi intestinale qui risque d’entraîner une augmentation de sa perméabilité et donc un risque accru de maladies auto-immunes mais également de maladies cardiovasculaires.

Nous avions déjà tenté de sensibiliser les médecins et le public dans deux ouvrages:

Une étude récente nous donne raison et nous pensons que ce ne sera pas la dernière. Ses conclusions sont encore mesurées mais en tous cas elle a le mérite de fermer la porte à tous ceux qui pensent et qui professent que « hors maladie coeliaque » il n’y a pas d’intolérance au gluten.

Ci-dessous dans le texte l’article original

Une intolérance au gluten sans maladie cœliaque

Source : Di Sabatino A et Corazza GR. Nonceliac Gluten Sensitivity: Sense or Sensibility? Annals of Internal Medicine 2012 ; 156 : 309-11 http://www.annals.org/content/156/4/309.abstract

 

La maladie cœliaque est l’une des maladies digestives les plus fréquentes ; liée à une intolérance au gluten, sa prévalence est variable d’un pays à l’autre, pouvant atteindre 1/150 (estimation canadienne). Mais peut-on souffrir d’une intolérance au gluten sans pour autant avoir une maladie cœliaque ? C’est la question que posent deux auteurs italiens dans une rubrique de type « Idées et Opinions » de la revue Annals of Internal Medicine.

Rappelons tout d’abord la nature du syndrome clinique de la maladie cœliaque : il s’agit d’un tableau de douleurs digestives chroniques avec d’importantes flatulences, une diarrhée et un tableau de malabsorption entérique avec pour première conséquence biologique une anémie microcytaire isolée. L’endoscopie montre un intestin grêle lisse, par effacement des villosités ; l’histologie montre une atrophie villositaire totale ou subtotale. Le traitement repose sur un traitement sans gluten strict grâce auquel les symptômes digestifs s’amendent rapidement tandis que la repousse villositaire demande plus de temps. Cette maladie est due à une sensibilisation au gluten et à une réaction immuno-allergique aux protéines du gluten (gliadine) chez des sujets génétiquement prédisposés.

Des travaux récents suggèrent l’existence d’un tableau d’hypersensibilité au gluten sans pour autant qu’il existe les signes pathognomoniques de la maladie cœliaque, notamment aux plans biologique (auto-anticorps antiendomysium et antitransglutaminase) et histologique (atrophie villositaire). Toutefois ce tableau reste controversé, certains auteurs en contestant l’existence et pensant que les patients chez lesquels ce diagnostic est porté sont privés à tort de gluten. Selon les deux auteurs italiens, c’est même la majorité des patients excluant le gluten de leur alimentation qui serait exempte de maladie cœliaque ! Ils suspectent chez ces patients un effet nocebo, c’est-à-dire des symptômes suggérés par la simple connaissance de la maladie cœliaque, ses symptômes et son traitement.

D’autres éléments viennent encore étayer la thèse que des intolérances digestives de plus en plus nombreuses (probablement rencontre de facteurs de susceptibilité génétique avec des situations environnementales nouvelles, comme les modifications rapides de notre alimentation actuelle) sont susceptibles d’affecter très profondément l’état de nos parois intestinales.

De nouvelles voies thérapeutiques dans le syndrome de l’intestin irritable

Par le professeur Stanislas BRULEY DES VARANNES,Président du Club MétéoxL’importance médicale du Syndrome de l’Intestin Irritable (SII) n’est pas suffisamment reconnue. C’est un réel problème de santé publique qui touche jusqu’à 20 % de la population générale et qui altère fortement la qualité de vie des patients. Pourtant le SII reste une maladie dont la physiopathologie est complexe et dont les origines multifactorielles ne sont pas encore toutes comprises.Les articles qui suivent vous présentent une synthèse des avancées récentes de la recherche dans le SII, exposées lors de l’atelier scientifique organisé par Alfa Wassermann Pharma aux JFHOD 2013, et montrent que de nouvelles voies thérapeutiques s’ouvrent pour modifier la prise en charge de cette maladie, parfois si désespérante sur le plan médical. 3 grands thèmes sont abordés : la nutrition, la génétique et les abords physiopathogéniques.L’alimentation est une préoccupation majeure des patients souffrant de SII. Le rôle des facteurs nutritionnels dans le SII, décrit dans cette synthèse par le Professeur Robert Benamouzig, est de mieux en mieux caractérisé, avec, en particulier l’importance des nombreux sucres et sucre-alcool présents dans différentes substances alimentaires, sans oublier, bien sûr, l’implication du nombre croissant d’intolérances digestives. Comme l’explique le Docteur Lionel Buéno, la recherche a permis de mettre en avant des facteurs génétiques associés au SII, notamment des polymorphismes portant sur des protéines impliquées dans la modulation des réponses inflammatoires ou dans la signalisation intracellulaire pouvant régler la motricité et/ou la viscéro-sensibilité.Enfin le tour d’horizon physiopathogénique du Docteur Hervé Hagège rappelle les mécanismes régulièrement évoqués dans le SII, mais met également en exergue toutes les nouvelles pistes aux mécanismes de mieux en mieux compris : les facteurs intra-luminaux, les mécanismes à l’origine de réactions micro-inflammatoires mais aussi le microbiote intestinal. Les données abordées au cours de ces exposés doivent une nouvelle fois nous convaincre de porter un regard nouveau sur cette affection finalement pleine de modernité dans les concepts qu’elle développe, et de nous tourner vers de nouveaux schémas thérapeutiques.

Rôle des intolérances et des facteurs nutritionnels en interaction avec le microbiote

Par le Professeur Robert Benamouzig,Service de Gastroentérologie, Hôpital Avicenne, BobignyLe Syndrome de l’Intestin Irritable (SII) se caractérise par un inconfort ou des douleurs abdominales chroniques, des modifications du transit intestinal, souvent associes à des ballonnements ou une distension abdominale. Il pourrait toucher 5 à 10 % de la population mondiale, avec une prédominance féminine (ratio femmes/hommes 1,7)(1). Bien que sans impact sur la survie, le SII peut altérer notablement la qualité de vie. Leur impact sociétal est important.Le rôle déclenchant des facteurs nutritionnels dans les poussées de SII est souvent invoqué par les patients. Dans un sondage portant sur 1242 patients avec SII, 63 % déclaraient vouloir mieux connaître le rôle des facteurs nutritionnels dans leur maladie (2). Plusieurs travaux ont étudié les facteurs nutritionnels dans le SII mais leur qualité méthodologique est souvent faible.

Symptômes du SII et repas

Une majoration post-prandiale des symptômes est habituelle, de même qu’une intolérance ressentie à certains aliments. La moitié des patients atteints de SII présente une aggravation post-prandiale des symptômes digestifs, survenant dans les 15 minutes suivant l’ingestion des aliments dans 25 % des cas et dans les 3 heures dans la quasi-totalité des cas (3).

Symptômes du SII et aliments

Dans deux enquêtes de population menées aux USA (4) et en Norvège (5), la prise d’un aliment spécifique déclenchait ou majorait les douleurs abdominales chez 50 à 70 % des patients ayant un SII. Dans l’étude norvégienne (5), l’intolérance alimentaire perçue portait sur les aliments suivants : lait (42 %), fromage (14 %), oeufs (12 %), viande rouge (14 %), farine (14 %), petits pois (21 %), oignons (36 %), poivrons (18 %), choux (35 %). Ces intolérances perçues ont pu conduire à l’éviction de l’aliment incriminé notamment pour le lait, la viande rouge, les petits pois, les poivrons, les oignons, les choux.

Modifications du régime alimentaire des sujets atteints de SII

Peu d’études ont évalué précisément les consommations alimentaires des sujets atteints de SII (6,7). Certains travaux suggèrent que les patients peuvent modifier spontanément les caractéristiques de leurs repas et de leur régime alimentaire : repas de faible volume, augmentation des apports en fibres, diminution des apports glucidiques, éviction des graisses et des produits laitiers, de la caféine et de l’alcool (2). Les modifications diététiques pourraient être causes de carences en divers micronutriments (7).

Symptômes du SII et intolérance à certains sucres

Le rôle des oligosaccharides, disaccharides, monosaccharides et polyols fermentescibles (FODMAPs) a été incriminé dans la physiopathologie des douleurs abdominales (8).

 

Une intolérance au lactose, au fructose, au sorbitol est associée à une fréquence accrue de symptômes. L’interrogatoire est l’étape primordiale.

Une intolérance au lactose doit être évoquée. La réalisation d’un test sanguin avec étude de la glycémie ou d’un test respiratoire avec mesure de l’hydrogène expiré peut être utile. Il est cependant à noter que même lorsque l’intolérance au lactose est prouvée, le régime d’exclusion bien mené n’apporte une amélioration que dans environ la moitié des cas (9). Une supplémentation en lactase peut être proposée. Un régime pauvre en FODMAPs chez ces patients atteints de SII peut améliorer les symptômes (ballonnements) (10).

Evolution des symptômes de SII et apport majoré en fibres

Les fibres ne sont efficaces que dans les SII avec constipation (11). Les fibres solubles sont associées à une amélioration symptomatique, à l’inverse des fibres insolubles, parfois sources de détérioration (12).

Symptômes du SII et allergie alimentaire

Indépendamment du rôle de certains aliments dans le déclenchement des symptômes du syndrome de l’intestin irritable, une allergie alimentaire doit être recherchée. Cette allergie survient souvent sur un terrain connu (antécédent d’atopie, de rhinite allergique, d’eczéma ; d’asthme) et/ou en association avec des manifestations allergiques extra- digestives (urticaire, prurit, rhinite, céphalée, arthralgies, …). Il existe alors souvent des manifestations buccales ou péri-buccales à type de rash, de prurit, ou d’oedème labial.

Les principaux allergènes alimentaires à rechercher par l’interrogatoire sont le lait de vache, les oeufs, le poisson, les fruits de mer mais aussi les noisettes, les noix voire plus rarement les pommes, le céleri, le blé ou les fruits exotiques. Par ailleurs, les tests cutanés d’hypersensibilité retardée ou de dosages biologiques sont souvent positifs à divers allergènes alimentaires au cours du SII. L’éviction des allergènes ainsi identifiés pourrait être bénéfique, mais le degré de preuve de cette approche reste faible. Dans certaines situations, l’épreuve d’exclusion avec réintroduction en double aveugle peut être intéressante même si elle connaît des limites. La possibilité d’une maladie coeliaque ou d’une ”sensibilité au gluten” doit être envisagée même si une stratégie de dépistage par recherche d’anticorps anti-transglutaminase n’a pas fait la preuve de son intérêt au cours du SII.

Conclusion

Les études visant à évaluer le rôle des facteurs nutritionnel dans le SII ne sont pas simples à mettre en place. La qualité méthodologique des études actuelles est souvent faible et les études contrôlées contre placebo sont rares. L’interprétation des études ouvertes est difficile en raison d’un effet placebo important. Il est donc indispensable de renforcer à l’avenir la qualité méthodologique des études évaluant les facteurs nutritionnels dans le SII. Néanmoins le rôle important dans le SII de certains facteurs alimentaires, notamment les aliments riches en FODMAPs, semble indiscutable et l’individualisation des conseils diététiques dans la prise en charge thérapeutique du SII indispensable.

 

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Syndrome de l’intestin irritable : nouveaux abords physiopathogéniques pour les traitements du futur

Par le docteur Hervé Hagège,Service d’Hépato-Gastroentérologie, CHI de CréteilLe SII (Syndrome de l’Intestin Irritable) atteint 10 à 20 % de la population dans les pays développés. Selon les critères de Rome III, ce terme est utilisé pour décrire une série de symptômes associant de façon variable des douleurs abdominales ou un inconfort, un ballonnement et des troubles du transit intestinal à type de constipation, de diarrhée ou d’alternance des deux.Les selles sont souvent de consistance anormale et il s’y associe fréquemment une impression d’évacuation incomplète (1). Le diagnostic repose sur la récidive des douleurs abdominales ou de l’inconfort abdominal plus de 3 jours par mois au cours des 3 derniers mois avec des troubles du transit et des selles anormales, après avoir éliminer une pathologie comme une maladie inflammatoire intestinale ou un cancer intestinal. La physiopathologie a longtemps reposé sur les anomalies intrinsèques du muscle lisse intestinal, sur l’hypersensibilité viscérale et sur le stress avec un rôle majeur accordé au système nerveux central. Des mécanismes nociceptifs sont activés et clairement les symptômes de SII ne se situent pas uniquement dans la tête des patients. L’axe cerveau-intestin n’explique pas tout et il existe actuellement de nouveaux concepts où les symptômes ne reposent pas sur un seul mécanisme étiologique, mais plutôt sur divers mécanismes périphériques qui perturbent la motricité et la sensibilité viscérale (2).

I. Les anomalies du transit colique et les troubles de l’évacuation

La diarrhée est un symptôme qui peut être prédominant dans le SII. Chez les patients soufrant du SII avec diarrhée, le transit est accéléré dans 15 à 45 % des cas. Certains facteurs peuvent être responsables de cette accélération : allergie ou intolérance alimentaire, intolérance au gluten sans maladie coeliaque, colite microscopique, malabsorption des sels biliaires, modification de la flore intestinale. Ces facteurs pourraient constituer de nouvelles pistes thérapeutiques (4). Dans les SII avec constipation, environ 25 % des cas sont liée à un ralentissement du transit et les sécrétagogues ou prokinétiques sont efficaces pour améliorer le transit et réduire douleurs et ballonnements. La constipation peut également être liée à des anomalies de l’évacuation rectale avec des sensations d’évacuation incomplète et cela doit être suspecté en cas de non réponse à un traitement par des fibres ou des laxatifs osmotiques (3).

2. Les mécanismes impliqués dans l’irritation intestinale

Les facteurs intra-luminaux ou muqueux peuvent activer le système immunitaire, la motricité et la sensibilité au niveau du grêle et du colon.

Facteurs luminaux

 Réponse à l’ingestion d’aliments

La douleur est provoquée par l’alimentation avec des contractions coliques et un SII à prédominance diarrhéique. Les symptômes sont surtout provoqués par les repas gras et comportant plus de 500 calories (5).

 Malabsorption ou maldigestion de nutriments

Une malabsorption du lactose, du fructose ou du sorbitol peut mimer les symptômes d’un SII, mais les associations sont possibles. La maldigestion de certains acides gras à courte chaine peut stimuler le transit colique. Les FODMAPs (Fermentable Oligosaccharides, Disaccharides, Monosaccharides and Polyols) sont peu absorbés au niveau du grêle et peuvent provoquer la production d’acide gras à chaine courte au niveau du colon (6). Le rôle du microbiote dans les symptômes de SII lié à certains nutriments n’est pas élucidé.

 Intolérance au gluten

Au dehors de la maladie coeliaque, certains patients observent une amélioration de leurs symptômes avec le régime sans gluten. La prévalence du typage HLA DQ2-DQ8 semble plus fréquente chez ces patients (7).

 Augmentation des taux d’acides biliaires intra-coliques

Une malabsorption des acides biliaires est observée chez environ 30 % des patients ayant un SII à prédominance diarrhéique. L’excès d’acides biliaires intra-coliques est lié à des anomalies du cycle entéro-hépatique avec une malabsorption ou un excès de production des aides biliaires (8).

 Microbiote et acides organiques

Le rôle du microbiote est complexe. Un excès de firmicutes (groupe de bactéries) a été décrit au cours du SII en combinaison parfois à une diminution des bacteroidetes. L’augmentation du ratio firmicutes/bacteroidetes semble jouer un rôle dans l’allongement du transit colique. Le rôle du microbiote dans la physiopathologie du SII est supporté par les essais randomisés avec des antibiotiques et les méta-analyses de traitements par des probiotiques (9,10). Les modifications du microbiote ne semblent pas jouer sur le métabolisme des acides biliaires, mais en revanche les acides biliaires pourraient modifier la flore colique.

 Rôle des cellules endocrines de la muqueuse intestinale

La production de certaines hormones comme la sérotonine au niveau de la muqueuse intestinale est augmentée au cours de certains SII. La sérotonine a un rôle sur la motricité la sécrétion et la sensibilité intestinale. D’autres produits sont sécrétés par ces cellules endocrines comme les chromogranines et secrétogranines. Ces élements ont une action sur la sécrétion et la motilité intestinale (11,12).

Conséquences de l’irritation du côlon

 Activation immunitaire et micro-inflammation

De nombreux travaux ont mis en évidence une activation immunitaire en particulier aux niveau des mastocytes et une micro-inflammation avec augmentation des lymphocytes T au niveau muqueux (13). Au plan épidémiologique, il existe des arguments pour une réaction post infectieuse avec une probable prédisposition génétique.

 Augmentation de la perméabilité muqueuse

Plusieurs études ont mis en évidence une augmentation de la perméabilité muqueuse au niveau du grêle et du côlon (14). Les facteurs mis en évidence avec cette augmentation de perméabilité sont : intolérance au lait de vache, terrain atopique (rhinite, rhino-conjonctivite, eczéma), stress et alimentation grasse.

Les facteurs génétiques

Les facteurs génétiques ne prédisposent pas directement au SII, mais à des phénomènes inflammatoires et à des anomalies de la synthèse d’acides biliaires et de la sécrétion intestinale.

 Susceptibilité à l’inflammation et aux symptômes du SII

Des travaux ont mis en évidence des associations entre les gènes codant pour la production d’anti TNF et les SII où prédomine la constipation. Quatre gènes ont été associés au SII post infectieux (15) dont le TLR9 (Toll-Like Receptor 9).

 Variabilité génétique et synthèse d’acides biliaires

Des mutations génétiques ont été mises en évidence en association une augmentation de production d’acides biliaires par l’hépatocyte et le SII à prédominance diarrhéique (16).

 Variabilité génétique et expression des neurotransmetteurs et des cytokines

Des variabilités génétiques jouent un rôle sur la production de divers neuro-peptides qui ont un rôle sur la motricité intestinale. Certains génotypes sont associés aux formes diarrhéiques de SII (17).

 Mutation génétique de cycle du guanylate

Il a été mis en évidence en Suède dans certaines familles avec une diarrhée modérée ou un SII à forme diarrhéique une mutation d’un gène au niveau du chromosome 12 codant pour le récepteur de la guanylate cyclase (18).

Le microbiote intestinal

Le microbiote (ou flore) intestinal, constitué de plusieurs milliard de bactéries majoritairement anaérobies, exerce des fonctions essentielles (barrière protectrice, rôles métaboliques, trophiques et immunitaires…) et joue très vraisemblablement un rôle dans les troubles du transit et le SII. Des modifications qualitatives et quantitatives de la flore fécale de patient SII par rapport à des patients sains ont été observées. Il existe également des différences de composition de la flore fécale au sein des patients SII. Les patients avec diarrhées prédominantes présentent un plus faible nombre de bifidobactéries dans la flore dominante. Ceux avec une alternance diarrhée-constipation ont une plus grande proportion de bactérioides (17). Enfin, le rôle du microbiote dans la physiopathologie du SII est supporté par des essais randomisés avec des antibiotiques et des métaanalyses de traitements par des probiotiques (18, 19) qui apparaissent comme des perspectives thérapeutiques nouvelles.

3.Implications cliniques et thérapeutiques

Le SII a longtemps été considéré comme une pathologie d’origine idiopathique où les phénomènes psychologiques avaient un rôle majeur. Les examens réalisés chez les patients avaient essentiellement pour but d’éliminer une maladie inflammatoire intestinale ou un cancer. La recherche de ces nouveaux facteurs périphériques n’est pas toujours effective en routine, mais leur meilleure connaissance pourra à terme modifier la prise en charge des patients (Tableau 1).

  Tableau 1. Mécanismes impliqués dans le SII et nouvelles approches thérapeutiques

Des tests simples peuvent orienter la démarche diagnostique et orienter le choix thérapeutique : mesure du temps de transit colique, évaluation de l’évacuation rectale dans les SII à prédominance de constipation et l’étude de la maldigestion des graisses, de la synthèse ou de l’excrétion des acides biliaires dans les SII à prédominance de diarrhée. A terme, il faudra mieux explorer les relations entre les facteurs génétiques et l’hôte. Des traitements plus spécifiques seront proposés aux patients en fonction des facteurs périphériques incriminés : biofeedback dans les troubles de la défécation, chélateurs des sels biliaires et agonistes des récepteurs à la sérotonine (5HT3) dans les formes diarrhéiques, prokinétiques dans les formes avec constipation. Les probiotiques, antibiotiques, anti-inflammatoires ou modulateurs des jonctions serrées pourraient être proposés plutôt dans les formes avec micro- inflammation et augmentation de la perméabilité intestinale. Le médecin se doit d’avoir un autre regard sur le SII et d’adapter ces choix thérapeutiques à ces nouveaux mécanismes physiopathogéniques.

 

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