Le rôle de la mélatonine dans le sommeil normal et pathologique

Publié sur Jim.fr, mars 2013

La mélatonine (N-acétyl-5 méthoxytryptomanine) est une hormone sécrétée en majeure partie par la glande pinéale, et en beaucoup plus faible quantité par les cellules photoréceptrices de la rétine, puis accessoirement par le tractus digestif, la moelle osseuse, les plaquettes sanguines et la peau. Découverte en 1958 par un dermatologue américain Aaron Lerner et son équipe, la mélatonine fut mise en évidence dans un grand nombre d’organismes tels que des bactéries, des champignons, des plantes, des protozoaires, des invertébrés et des vertébrés dont l’espèce humaine.

Synthèse à partir du tryptophane

La mélatonine est un composé lipophile qui possède une structure indolique après deux étapes de biotransformation. Elle est principalement synthétisée par les pinéalocytes de la glande pinéale ou épiphyse (que Descartes considérait comme le siège de l’âme -Traité de l’homme 1664) à partir d’un acide aminé précurseur, le tryptophane. Celui-ci est transformé en 5 hydroxytryptophane par la tryptophane hydroxylase, puis en 5 hydroxytryptamine ou sérotonine par l’action d’une décarboxylase. À partir de la sérotonine, la synthèse de mélatonine nécessite la participation d’une enzyme clé, la N acetyl transférase sérotonine (AANAT), et à un degré moindre, celle de l’hydroxylase tryptophane (TPH), qui contrôle la disponibilité de la mélatonine.

Libération par la glande pinéale

La mélatonine produite par la glande pinéale est libérée passivement par les pinéalocytes, puis après passage de la barrière hématoencéphalique, elle diffuse dans la circulation et va moduler l’activité cérébrale en exerçant son action sur les tissus cibles riches en récepteurs de mélatonine. Les récepteurs sont présents dans de nombreux tissus et en particulier dans le système nerveux central (hypothalamus, hippocampe, cervelet et rétine). La mélatonine circulante est métabolisée dans le foie par une enzyme à cytochrome P450 (attention aux interactions médicamenteuses), puis sulfoconjuguée (70 à 80 %) et glucuroconjuguée (5 %) et transformée en 6-sulfatoxymélatonine (aMT65), le principal métabolite urinaire qui peut être dosé dans les urines (métabolite inactif). Sa demi-vie est courte de l’ordre de 20 à 40 minutes.

La lumière, principal synchronisateur

La plupart des rythmes biologiques des mammifères (veille-sommeil, température, cortisol, rythmes alimentaires) sont circadiens, fonction de l’alternance jour/nuit et sous la régulation d’une horloge biologique située dans les noyaux suprachiasmatiques (NSC) de l’hypothalamus. Le pic de sécrétion de la mélatonine se situe dans la nuit, avec un maximum vers 2-3 heures du matin, qui correspond au minimum de la température corporelle. Dans la journée, l’hyperpolarisation des neurones de la voie rétino hypothalamique inhibe la transmission noradrénergique. À l’inverse, la nuit, les neurones des NSC n’étant plus sous l’effet inhibiteur de la lumière, ils libèrent de la norépinéphrine (NE). Celle-ci stimule les récepteurs Bêta-1-noradrénergiques présents sur les pinéalocytes (et à un degré moindre les récepteurs alpha adrénergiques), puis l’adénylate cyclase, d’où une élévation intracellulaire d’AMP cyclique suivie d’une libération de mélatonine par activation de l’enzyme clé, la N-acétyl transférase (cf figure).

Le cycle lumière-obscurité est donc le principal synchronisateur de l’hormone. Le rythme circadien de sécrétion de mélatonine est très stable pour un même individu et dépend de son profil « couche tôt » ou « tard », mais il existe d’importantes variations interindividuelles.

Quels effets ?

Le principal effet de la mélatonine est d’améliorer la qualité du sommeil et de permettre la resynchronisation de son rythme circadien. Elle diminuerait la latence d’endormissement et augmenterait la qualité et la durée du sommeil. Mais l’administration per os de mélatonine produit une action différente selon l’heure d’administration, le type de mélatonine (à libération immédiate ou à libération prolongée) les doses (de 0,5 à 6 mg) et les caractéristiques du sujet (âge, sexe). La mélatonine est surtout utilisée comme resynchronisateur de situations de désynchronisation telles que le vieillissement, le travail de nuit ou posté, les syndromes d’avance ou de retard de phase et les décalages horaires liés aux vols transméridiens (jet lag). Son utilisation thérapeutique doit veiller à préserver le rythme circadien naturel de l’hormone avec des concentrations élevées la nuit et basses le jour.

– Dans les décalages de phases, l’administration de mélatonine à libération immédiate le matin retarde le rythme circadien (avance de phase),  et à l’inverse, administrée le soir, elle avance le pic de sécrétion et permet d’avancer l’heure d’endormissement en réglant  les décalages par retard de phase (fréquents chez les adolescents).

– Dans le vieillissement, une calcification progressive de l’épiphyse entraîne une diminution des pinéalocytes et une baisse de la production de mélatonine avec l’âge.  La diminution physiologique de la sécrétion de mélatonine entraîne des insomnies d’endormissement et de maintien du sommeil. Afin de compenser cette baisse physiologique, une mélatonine à 2 mg à libération prolongée a été mise au point. Ce médicament a reçu l’AMM en 2008 pour le traitement de l’insomnie primaire des patients de plus de 55 ans.

– Dans la dépression, il existerait une perturbation de l’organisation circadienne avec une diminution du pic nocturne de sécrétion de la mélatonine et, selon les patients, une avance ou un retard de phase.

Dans les dépressions majeures avec troubles du sommeil, un agoniste mélatoninergique, l’agomélatine a récemment obtenu l’AMM comme antidépresseur.

Des propriétés antioxydantes et oncostatiques aussi ?

La mélatonine possèderait par ailleurs des propriétés antioxydantes et oncostatiques qui pourraient être intéressantes dans les situations telles que le travail de nuit, où l’exposition à la lumière artificielle bloque la sécrétion de mélatonine. Les études épidémiologiques ont en effet montré une augmentation significative du risque relatif de cancer du sein chez les femmes travaillant régulièrement la nuit. La diminution du pic nocturne de mélatonine entraînerait une augmentation des œstrogènes et en particulier de l’œstradiol à l’origine de croissance et de la prolifération des cellules hormonosensibles du sein.

De nombreux travaux sont en cours dans ce domaine, mais actuellement la preuve de l’innocuité d’une prescription chronique de mélatonine ou à hautes doses n’a pas encore été faite et aucun résultat ne permet de recommander la prise de mélatonine dans de telles indications.

Dr Pascale Ogrizek

Claustrat B : Médecine du sommeil 2009 ; 6 : 12-24.

Touitou Y : Mélatonine : de la physiologie à la pathologie. EMC.Endocrinologie-Nutrition 2008 ; 1-7.
Zawilska JB et coll. : Physiology and pharmacology of melatonin in relation to biological rythms. Pharmacological Reports 2009 ; 61 : 383-410.

Notes personnelles: Dans les années 90 le Professeur Lucien ISRAEL avait conseillé de la mélatonine à fortes doses (environ 25 milligrammes) dans certains cancers hormono-dépendants comme le cancer du sein, ceci sans aucun effet secondaire.

La mélatonine est disponible en formes perlinguales et en gélules à 1 mg et gélules retard à 3 milligrammes